Chroniques de la construction d'un paquebot sur les bords de la Meuse.
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mécanicien naval la matin, fermier l'après-midi
Alain Franquinet a une drôle de vie. Ou plutôt deux drôles de vie. Il est à la fois fermier et mécanicien naval. Deux métiers qu'il mène de front en dormant seulement cinq à six heures par nuit. Et, pourtant, il parait toujours de bonne humeur, avec son visage jovial.
Alain a 36 ans. La ferme, il connait bien, c'est ici qu'il est né. Mais, il y a 18 ans, il l'a quittée pour aller travailler au chantier. Car la mécanique, c'est sa passion à Alain. Il me montre fièrement le tracteur-bull qu'il a entièrement construit. Et, il ajoute :
-"Le chantier, pour moi, c'est toujours nouveau! Cela fait 18 ans que j'y suis, mais c'est comme si ça ne faisait qu'un mois. Je ne saurais pas quitter le chantier, mais je ne saurais pas quitter la ferme non plus." Parce qu'un jour, lorsque ses parents sont morts, Alain n'a pas voulu qu'on abandonne la ferme familiale. Alors, il l'a reprise et il est passé à mi-temps au chantier. On sent vite que toute sa vie est ici, à Florée, au milieu de ses bêtes, des "blanc-bleu-belge". Assis dans sa cuisine, il prend le temps de me raconter tout ça. Il me parle de l'époque des vélages où il ne dort que une ou deux heures par nuit sur le canapé. Sans transition, il me raconte le plaisir de régler les gros diesels des bateaux. On finit la bière. Alain va devoir aller soigner ses 200 vaches. Il en a jusque minuit ou plus. Mais, ça ne lui fait pas peur. Il a l'habitude! |
Mercredi 15 avril 1998 - 10h40
La matinée est froide et pluvieuse. Le long du quai, la Meuse s'écoule toujours aussi placidement, mais aucune touche de couleur ne vient égayer les reflets de l'eau. Lorsque j'approche du grand hangar, cette fois, je ne vois plus que lui ! Le pic avant est devenu énorme. Il pèse maintenant près de quarante tonnes. Jan me raconte que début de la semaine prochaine, une grue spéciale de 160 tonnes viendra le soulever et l'amènera sur l'aire de montage.
Un peu partout aux abords du chantier, sont entreposées les différentes sections de la coque, qui seront assemblées dans les jours qui viennent. On a un peu l'impression que ces gros blocs de tôles ont été jetés par ci, par là, un peu au hasard. Certains servent même provisoirement d'abri pour les voitures.
Début de la semaine prochaine, ce gigantesque puzzle va s'assembler. Des morceaux de plusieurs dizaines de tonnes vont se rejoindre au millimètre près et deviendront enfin une vraie coque. Une coque qui d'ici quelques mois glissera sur l'eau salée et maritime de l'estuaire de la Seine, ou flânera sous les ponts de Paris...
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